Séminaire – Histoire et philosophie des mathématiques de l’Antiquité à l’âge classique

Courbes et généralité à l’âge classique

Durant l’Antiquité, une courbe n’est que rarement étudiée comme faisant partie d’un ensemble, elle ne l’est que prise isolément. L’invention de l’écriture symbolique (Viète, Descartes) conduit à une toute nouvelle manière de résoudre des problèmes géométriques et à un accroissement du nombre de courbes à disposition du géomètre afin en particulier de construire la solution d’un problème. Leur prolifération ainsi que leur utilité amènent à ce que les courbes deviennent un objet d’étude à part entière. Il s’agit en premier lieu de chercher des critères d’exactitude (Bos) qui permettent d’admettre des courbes au sein de la géométrie. Il est bien connu qu’à ce titre La Géométrie (1637) a une réponse péremptoire : seules sont admises les courbes possédant une équation algébrique et cette équation représente son écriture générale. Leibniz élargit le champ admissible – courbes transcendantes – et produit ainsi une nouvelle forme de généralité. Les méthodes analytiques permettant de trouver les propriétés de courbes sont ainsi conçues par le géomètre en cohérence avec l’idée de généralité qu’il a statué. Il apparaît donc que le concept de courbe émerge d’emblée lié à aux formes de généralité induites par l’introduction de l’écriture symbolique.
Cette journée cherche à approfondir la connaissance de la manière dont la valeur épistémique qu’est la généralité façonne le concept de courbe aux débuts de l’analyse à l’âge classique, et ce, à travers l’examen de pratiques mathématiques de différents auteurs autant mineurs que majeurs. Nos analyses s’appuieront notamment sur les différentes tentatives proposées par les acteurs pour définir et mettre en œuvre une idée générale de courbe et comment cette idée guide une organisation et une classification d’un ensemble de courbes ou induit l’invention de méthodes, elles aussi générales, s’appliquant à un ensemble de courbes.

Programme

10h30-12h30

  • Olivier Bruneau (Archives Poincaré)
    « Les courbes podaires chez MacLaurin : vers une généralisation du courbe »
    Résumé
    Dans un court article paru en 1718 dans les Philosophical Transactions of the Royal Society, Colin Maclaurin (1698-1746) présente une « nouvelle » classe de courbes que l’on nommera à partir des années 1840 les podaires. Isaac Newton encourage ce jeune Écossais à développer ses recherches et en 1719, Maclaurin publie sa Geometria Organica dans laquelle une partie est dédiée à la description de ce type de courbes. Cette construction est, à notre connaissance, due à Roberval mais celui-ci ne l’applique qu’à la cycloïde. À la même époque, les coordonnées podaires sont relativement bien installées et sont utilisées dans le cas des forces centrales.
    Dans cet exposé, nous présenterons les résultats de Maclaurin en essayant de les confronter à la pratique des coordonnées podaires et nous tenterons de montrer en quoi la production de ce jeune savant est restée isolée tout au long du 18e siècle.
  • Sandra Bella (Archives Poincaré)
    « Le polygone infinitangulaire : concept général du calcul leibnizien ? »

Déjeuner

14h00- 16h00

  • Thierry Joffredo (Archives Poincaré)
    « Le triangle analytique comme représentation et outil d’étude de l’équation générale d’une courbe algébrique chez Gabriel Cramer »
    Résumé
    Variation du parallélogramme analytique de Newton, emprunté à De Gua de Malves dans sa forme triangulaire, le triangle analytique est un dispositif central dans l’Introduction à l’analyse des lignes courbes algébriques de Gabriel Cramer (ouvrage publié en 1750 à Genève), particulièrement opérationnel dans les très nombreux exemples qui peuplent les pages de l’ouvrage, lorsqu’il s’agit de définir les termes prépondérants d’une équation particulière à l’origine ou à l’infini, afin d’étudier les asymptotes, les branches infinies, ou les points singuliers de la courbe associée. Mais cette représentation des termes de l’équation générale d’une courbe permet également à Gabriel Cramer d’énoncer des résultats généraux sur les courbes algébriques (comme le nombre de points nécessaires pour définir une courbe d’ordre donné), de décrire des méthodes et procédures universelles pour leur étude et, in fine, d’œuvrer à la classification générale des courbes d’ordre trois, quatre et cinq. Nous nous proposons donc, dans cet exposé, de voir comment Gabriel Cramer prend appui sur ce dispositif dans son ouvrage pour imposer de l’ordre, de l’universalité et de la généralité dans ce paysage des courbes algébriques, à peine exploré au début du XVIIIe siècle, dont « les variétés perpétuelles, rappelées constamment à l’unité, offrent à l’Esprit un spectacle dont il ne se lasse jamais »
  • Simon Gentil (Laboratoire SPHère)
    « La Courbe générale de Descartes à Euler »

Salle 628 bâtiment Olympe de Gouges Univ Paris Cité 8 Rue Albert Einstein

Séminaire – Histoire et philosophie des mathématiques de l’Antiquité à l’âge classique

Enseignement des mathématiques au 18e siècle

Davide Crippa (Università Ca’ Foscari, Venise)
Enseigner les mathématiques au dix-huitième siècle : Giovanni Poleni à l’université de Padoue

Cette contribution s’inscrit dans le cadre de la microhistoire de l’enseignement et se penche sur le contexte de l’enseignement des mathématiques à l’université de Padoue pendant le XVIIIe siècle. La période située entre 1700 et 1720 en Italie du Nord témoigne d’une renaissance mathématique particulièrement marquée, surtout au sein des universités de Bologne et de Padoue. Cette renaissance est en grande partie attribuable à la diffusion dans la péninsule de la nouvelle analyse de Leibniz, relayée à travers ses écrits, mais également par les manuels de L’Hopital et les cours manuscrits de Johann Bernoulli. L’essor des mathématiques et de la physique newtonienne a également joué un rôle déterminant dans ce renouveau en Italie. Néanmoins, une exploration des programmes d’études imprimés au cours de la majeure partie du XVIIIe siècle révèle que l’analyse infinitésimale ne figurait pas au rang des disciplines enseignées au niveau supérieur, à quelques rares exceptions près. Dans le cadre de l’université de Padoue, par exemple, les archives des programmes de cours, ou « Rotuli », attestent que l’étude d’Euclide, enrichi de « ses applications », constituait l’élément prédominant de l’enseignement universitaire des mathématiques jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Pourtant, ce que ces programmes ne dévoilent pas – et ce qui constituera l’objet de mon exposé – est le fait que même dans le cas d’un sujet classique tel qu’Euclide, l’enseignement reposait sur l’utilisation de sources contemporaines, mobilisant ainsi les connaissances issues de la littérature plus récente qui, de cette maniere, circulait parmi les étudiants. Mon attention se portera particulièrement sur l’activité pédagogique de Giovanni Poleni, qui occupa la chaire de mathématiques de 1719 jusqu’à sa disparition en 1761. Toutefois, l’enjeu de ma contribution dépasse les limites temporelles et géographiques spécifiques. En considérant l’enseignement des sciences comme un vecteur de transmission des connaissances, plusieurs questions cruciales émergent, qui peuvent etre généralisées à d’autres contextes : quels étaient les textes employés et diffusés à l’époque ? Comment leur sélection et leur adaptation ont-elles répondu aux besoins spécifiques des administrateurs des universités ? Enfin, dans quelle mesure les développements récents, y compris les avancées mathématiques les plus contemporaines, étaient-ils transmis par le biais des cours académiques ?

Pierre Ageron (Université de Caen)
Les manuscrits de cours, témoins de l’enseignement et de la circulation des mathématiques en France au XVIIIe siècle

Les cahiers manuscrits recueillant, en latin ou en français, les cours donnés par les professeurs constituent les traces matérielles les plus concrètes de l’enseignement des mathématiques au XVIIIe siècle. Pour autant, ils posent de nombreuses questions : sont-ils un reflet fiable de l’enseignement dispensé ? quelles pratiques réelles laissent-ils entrevoir ? dans quel but et quelles conditions ont-ils été copiés, conservés, diffusés ?
Nous nous appuierons principalement sur les cas de deux ensembles de traités de sciences mathématiques dont nous avons recensé et examiné les manuscrits, correspondant aux leçons de Pierre Varignon au collège Mazarin de 1688 à 1722 et à celles d’Yves-Marie André au collège jésuite de Caen de 1726 à 1759. Nous évoquerons aussi d’autres manuscrits, souvent anonymes, conservés dans des bibliothèques normandes.
Nous verrons ce que ces manuscrits révèlent de la tension entre tradition euclidienne et méthodes nouvelles, de l’articulation entre mathématiques pures et mathématiques mixtes, du programme pédagogique et des attentes des professeurs. Nous donnerons des exemples d’interprétation d’éléments paratextuels et de détection de formes variées d’intertextualité.
Nous proposerons enfin quelques éléments de réflexion visant à comparer les manuscrits d’enseignement des mathématiques dans la France du XVIIIe siècle à ceux des pays arabes et musulmans à la même époque.

lieu : Salle 002 – Archives Henri Poincaré, 91 av . de la Libération, 3° étage, 54 000 Nancy

Séminaire – Histoire et philosophie des mathématiques de l’Antiquité à l’âge classique

Lieu : salle internationale (324) – Archives Henri Poincaré, 91 av . de la Libération, 3° étage, 54 000 Nancy

Analyse dans les mathématiques grecques

Felix Zheng (Budapest)
Qu’est-ce qu’une proposition dans les Données d’Euclide ? — Du point de vue de la forme

Le but de la présente recherche n’est pas un aperçu des Données d’Euclide, mais de fournir une enquête délimitée avec des résultats précis et bien démontrés, qui sont obtenus principalement en analysant la forme d’une proposition dans les Données. Tout d’abord, je revisiterai un défaut de la division Procléenne pour la structure des propositions dans les Éléments d’Euclide et fournirai une description formelle beaucoup plus détaillée du type de problèmes. En utilisant ma description formelle comme outil analytique, je révélerai les différences entre un proposition dans les Données, qui semble à un problème, et celle conforme aux problèmes dans les Éléments. Cette comparaison formelle nous aidera également à mieux comprendre pourquoi Pappus classe les Données d’Euclide en premier dans son énumération des ouvrages grecs dans le domaine de l’analyse.

Gianluca Longa (Clermont-Auvergne)
Peut-on se passer de Pappus pour comprendre l’analyse géométrique ancienne ?

La description de la méthode d’analyse et de synthèse proposée par Pappus dans l’introduction au livre VII de sa Collectio a servi de point de départ à presque toutes les interprétations modernes de cette méthode dans la géométrie grecque. Nous estimons qu’il s’agit d’une erreur. En effet, nous montrerons que la description de Pappus ne doit pas être considérée comme « the most elaborate utterance on the subject » (Heath), mais plutôt comme une source qui tente, certes avec une grande habileté stylistique, d’assembler et d’interpréter les textes à sa disposition avec des objectifs rhétoriques et didactiques qui ne correspondent pas nécessairement aux intentions avec lesquelles ces textes ont été écrits. Par conséquent, cet exposé vise à montrer que prendre Pappus comme point de départ de l’interprétation de l’analyse ancienne conduit finalement à construire une image partielle, voire inexacte de la pratique de l’analyse et de la synthèse.